La Fabrique des images – Berlin, le 2 mai 1945
Cette photo a été prise par le photographe de l’agence Tass, Evgueni
Khaldeï, lors de la prise de Berlin, la prise du Reichstag. Il s’agit de faire
l’image qui va faire l’histoire. Khaldeï s’y est préparé. Il a amené avec lui
des drapeaux rouges taillés dans une nappe par un tailleur. Ce qu’il faut,
c’est donner le contexte. Donc, ils vont monter très haut ; le soldat ne
voulait pas monter parce qu’il avait peur de tomber. Mais c’était la seule
manière pour lui d’avoir une contre-plongée où on voyait parfaitement les
véhicules en bas, les immeubles en ruine. Là il a trouvé exactement l’angle. Ça
a presque l’air d’un tableau classique. Le point d’orgue du Reichstag méritait
une photo symbole absolument parfaite, magnifiquement composée comme un tableau
de La Tour ou de Philippe de Champaigne.
Il y a évidemment l’anecdote connue des deux montres, c’est-à-dire le
soldat qui maintient, celui qui tient le drapeau porte deux montres. Ça, alors,
pour le rédacteur en chef de l’Agence Tass, c’est une honte, ça veut dire que
ce soldat est un pillard, qu’il a volé une montre sur un cadavre et donc pour
lui c’est indigne et c’est impossible de publier une photo comme ça. Donc il va
demander à Khaldeï de gratter sur le négatif cette deuxième montre et la photo
qui paraît, le soldat a une seule montre.
Khaldeï a une référence dans la tête. C’est la photo de l’Américain Joe
Rosenthal qui, quelques semaines auparavant, réalise une photo dans l’île
d’Iwojima où des soldats américains plantent un drapeau américain. C’est une
photo extrèmement connue qui est la photo symbole de la victoire des Etats-Unis
sur les Japonais. Et donc il veut faire la même photo. Il veut faire cette
photo symbole.
Il ne va pas la réussir du premier coup. Il va faire plusieurs essais, à
plusieurs endroits. Il commence à l’aéroport de Tempelhof, symbole de
l’Allemagne nazie. Cette photo est moins bien composée. Elle est un peu vide.
Elle n’a pas la profondeur de champ avec la ville en ruine et donc c’est
peut-être pour ça qu’elle n’est pas choisie. Et ils font un deuxième essai sur
la Porte de Brandebourg. Elle paraît beaucoup moins forte. D’abord les deux
soldats ont l’air vraiment de poser et puis il n’y a pas de profondeur de
champ. Manifestement cette photo ne convient pas.
Alors, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a d’autres photographes
soviétiques qui sont sur place et il y en a une qui s’appelle Ivan Chaguine qui
va aussi faire la tentative pour sortir la photo symbole. Donc, lui aussi sur
le toit du Reichstag avec des soldats qui brandissent des pistolets, des
mitraillettes et un drapeau qui flotte dans le vent. Evidemment elle n’a pas la
force de Khaldeï parce qu’il n’y a pas en fond la ville. Les soldats ont l’air
de poser de manière un peu gênante ; les pistolets d’un point de vue du
symbole, même si c’est très fort militairement, ça donne probablement un effet
un peu négatif. Cette photo n’a pas eu le même destin que celle de Khaldeï.
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